Du lancement de Twitter France à la direction du développement chez Brut., Olivier Gonzalez connaît les mutations du digital comme peu d’autres. Membre du jury 2025 des Trophées de la Com. dans la catégorie Audiovisuel, il nous apporte un regard singulier sur la communication : celle qui sort du cadre, tout en restant droite dans ses bottes.
Vous êtes aujourd’hui à la tête du développement chez Brut. Racontez-nous votre parcours…
J’ai commencé par hasard, d’abord comme journaliste, puis j’ai très vite bifurqué vers le digital, à la fin des années 1990. On était alors très peu à travailler sur les sites Internet. Puis, après avoir œuvré auprès de plusieurs grandes régies publicitaires, j’ai eu le privilège de lancer Twitter (aujourd’hui X) en France, en 2012. J’en ai été le patron jusqu’en 2015.
J’ai ensuite intégré l’agence Havas pour la partie Social Media, avant de rejoindre Brut, alors qu’ils n’avaient qu’un an d’existence. Les fondateurs m’ont demandé de les accompagner sur la commercialisation. Je ne suis ni créatif ni planneur stratégique : je vends des campagnes publicitaires. Et je crois que je me débrouille pas trop mal.
En tant que média 100 % vidéo, Brut fait de l’engagement une priorité. Sur quoi mettez-vous l’accent pour susciter une adhésion durable ?
Chez Brut, on a des valeurs, évidemment. Mais on n’est ni de gauche, ni de droite. Ce qu’on aime, c’est raconter des histoires, intéresser les gens. Notre mission est simple : expliquer ce qu’il s’est passé, pourquoi, et donner des pistes pour se forger sa propre opinion. On ne donne pas notre avis, on ne donne pas de leçon. Ce n’est pas ce qu’attendent les 15-35 ans.
Ce qu’ils veulent, c’est une info incarnée, sincère, utile. Et c’est ça qu’on essaie de produire chaque jour : des formats pertinents, des angles à contrepied, des histoires vraies avec des gens vrais. Parfois sur l’actu chaude, parfois sur des sujets de fond. L’essentiel, c’est que ce soit authentique.
Je suis toujours très fier quand des profs utilisent nos vidéos en classe. Ça montre que ce qu’on fait peut toucher, éveiller, faire réfléchir. Et je pense que cette cohérence se ressent : plus de 80 % de notre audience dit avoir confiance en nous.
Quel regard portez-vous sur la communication d’aujourd’hui, par rapport à celle d’il y a 15 ans ?
On est passé d’une époque où les grands médias avaient raison à une information totalement délinéarisée, qu’on écoute en podcast, qu’on se partage entre copains, entre collègues…
Aujourd’hui, même la presse ne se consomme plus grâce aux kiosques à journaux, mais via les réseaux sociaux. On est entré dans une époque mobile first. On s’informe, on consomme, on commande une pizza… Tout passe par le smartphone. Ça change tout, avec les dérives qu’on connaît : désinformation, polarisation…
C’est votre première participation aux Trophées. Qu’est-ce qui vous a convaincu d’accepter cette invitation ?
Ce type d’événement est toujours l’occasion d’échanger avec ses pairs, avec des talents qu’on ne connaît pas ou qu’on n’a pas le temps de croiser. Chez Brut, la vie est intense, et on n’a pas toujours le temps de voir ce qui se fait ailleurs. Les Trophées, c’est aussi le moment pour s’intéresser à ce que font les autres.
D’après vous, selon quels critères peut-on évaluer une “bonne” campagne aujourd’hui ?
J’aime la créativité. Mais ça ne veut pas dire qu’il faut en faire des caisses. Parfois, une bonne idée, c’est juste une phrase. Une idée simple, percutante. Je suis nostalgique de slogans comme : « Un verre, ça va. Deux verres, bonjour les dégâts ».
Je trouve qu’il n’y a rien de mieux qu’un message où on se dit : « Mais oui, c’est tellement dingue, tellement clair que c’est ça. » Une idée limpide, qui marche parce qu’elle s’impose par son évidence. Et quand en plus, elle sert une grande cause ou une marque iconique… alors là, c’est encore mieux.
Vous êtes juré dans la catégorie “Audiovisuel”. Quel est votre regard sur ce type de format aujourd’hui ?
Aujourd’hui, il y a une tendance croissante vers le podcast, avec du long format très intéressant. Il y en a de très bons en France, mais on est encore loin des phénomènes américains à la Joe Rogan qui rassemblent des millions d’auditeurs sur YouTube. Je ne suis pas la cible de Twitch (nldr : 15-35 ans), mais ce qui s’y passe est tout aussi fascinant.
En termes de création, je pense que les dirigeants et les chefs d’entreprise devraient davantage aller sur ces formats plutôt que de faire de banales interventions sur RTL ou France Inter. Il y a une forte défiance envers les politiques, une importante disparité dans notre société, et en même temps une vraie appétence pour les marques. On a besoin de contenus qui humanisent, qui rapprochent. Et pour y arriver, il faut déjà comprendre les attentes du public en termes d’identité de marque, qu’on soit ministre ou gérant d’un gros groupe.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune communicant ou communicante qui débute dans le métier ?
Je n’aime pas donner de conseils, j’estime que les nouvelles générations ont tellement plus à transmettre que moi… Mais si je le devais, je leur dirais deux choses. Un : si vous cédez à la facilité, ça ne marchera pas. Deux : gardez votre ADN. Ne vous laissez pas corrompre par le bruit ambiant, la tendance dominante. Quand on est jeune créatif ou jeune communiquant, il faut aller là où ça frotte. Là où ça fait mal. C’est de là que naissent les idées les plus puissantes. Et surtout, surtout : gardez votre cap.
Entretien réalisé par Fanny Carré

